dimanche 23 septembre 2012

B comme Велико Търново

Independence day


Je triche un peu pour le titre en écrivant le nom de la ville en alphabet cyrillique ce qui me permet d'avoir un B (qui se prononce tout de même [v]) et non un V !

Je vais, ci-après, faire le récit détaillé de ma première excursion des 22 et 23 septembre 2012. Et je me vois déjà dans quelques mois, assise à la table d'un café, ou même dans plusieurs dizaines d'années, près d'un feu de cheminée, raconter cet épisode de ma vie en Bulgarie à mes proches.


Ma première semaine en Bulgarie s'écoule, pas encore paisiblement mais presque, quand je reçois un appel d'une collègue française, stagiaire à Blagoevgrad, qui me propose de passer le weekeend à Veliko Tarnovo, ville moyenne d'un peu plus de 60 000 habitants située au centre du pays et célèbre pour avoir été la capitale du second empire avant sa chute provoquée par l'invasion ottomane de 1393. Le plan est le suivant: réceptionner une troisième comparse française à l'aéroport, passer la nuit chez moi et partir de Sofia en autocar le lendemain. Et comme j'ai résolument envie de voir du monde et du pays, j'approuve tout de suite l'idée.


Illustration: Situation géographique de Veliko Tarnovo
Source: Wikimedia Commons


C'est ainsi que mes deux nouvelles amies débarquent chez moi un vendredi après-midi et que je découvre que ma sonnette ne fonctionne pas mais que l'isolation phonique de mon logement est bonne, puisqu'elles ont beau sonner et frapper, accompagnées de mon concierge dérangé pour l'occasion, je n'entend rien et elles restent donc à la porte, celle qui sépare le palier de l'entrée de mon appartement. N'ayant aucun numéro auquel les joindre et m’inquiétant de ne pas les voir arriver plusieurs heures après l'heure convenue, je finis par faire la commère et par les apercevoir depuis ma fenêtre, errant dans le quartier, sac de rando sur le dos. Un look de circonstance puisqu'elles devront camper dans mon salon et que le confort de mon appartement reste précaire (il faut jeter un seau d'eau dans les WC à défaut d'une chasse d'eau en état de marche).

Samedi. Un taxi nous conduit (roulant au delà de la limite de vitesse et grillant les feux rouges) à la gare routière où nous tentons de trouver des billets moins chers que le prix qu'on nous annonce, mais les informations de notre guide de voyage s'avèrent erronées et il nous en coûtera 22 leva par voyageuse pour relier Sofia à VT. Le trajet est quelque peu monotone, offrant toujours les même paysages de campagne, et nous dormons pendant presque toute la durée du voyage, les unes fatiguées de leur soirée dans les endroits animés de la capitale et moi épuisée d'être rentrée au beau milieu de la nuit d'un dîner (arrosé) chez une collègue bulgare. 


Illustration: Chaton sans collier dans le quartier de l'université
Source: Photographie personnelle



Trois heures plus tard, nous y voilà, encore somnolentes mais enthousiastes. Nous montons à bord d'un taxi, le chauffeur nous parle des festivités et à notre grand étonnement, en français! Car en effet, nous n'avons pas choisi cette destination au hasard.  La date est synonyme de réjouissances dans tout le pays et particulièrement ici, dans la capitale historique. Nous sommes venues, en ce 22 septembre, assister aux différents évènements organisés par la municipalité à l'occasion de la commémoration de l'indépendance. Le véhicule jaune nous dépose dans un petit quartier tranquille en haut d'une colline. La ville est située dans un écrin de verdure. Il nous faut d'abord récupérer le trousseau de clés déposé chez l'épicier par notre nouvelle amie, lectrice à la prestigieuse université de Veliko Tarnovo pour la deuxième année consécutive, qui nous autorise gentiment à occuper son appartement pendant son absence. Si elle lit ces lignes, je tiens à la remercier chaleureusement pour son hospitalité et espère qu'elle sera présente la prochaine fois pour nous accueillir. Au contraire, l'accueil est assez déroutant puisque nous trouvons à notre arrivée la porte ouverte et plusieurs agents d'entretien en train d'aspirer et même de lessiver moquette et canapé. Nous devinons aisément à la vue du désordre environnant qu'il s'agit du personnel chargé de tout remettre en ordre une fois les travaux de rénovation du bâtiment effectués. Ces messieurs daignent enfin terminer leurs bruyant remue-ménage et nous laisser toutes trois savourer une tasse de thé sur le balcon (le canapé étant littéralement trempé) en contemplant la vue imprenable sur la forteresse médiévale de Tsarevets qui domine la ligne d'horizon. C'est là-bas, aux pieds de la citadelle, qu'auront lieu les célébrations de ce soir. Après l'agitation et le vacarme, nous savourons ce moment de calme avant de nous plonger dans l'ambiance festive des rues pavées de la ville.


Illustration: Vue depuis le balcon
Source: Photographie personnelle
Nous partons à la découverte de la sublime Veliko Tarnovo, appareil photo autour du cou et notice explicative en main. Merci à notre hôte d'avoir rédigé ces instructions que nous avons suivies à la lettre et qui nous ont guidé à travers ce gros village; cet itinéraire touristique nous a révélé la ville sous son plus bel angle. Vue panoramique de la capitale médiévale depuis la colline de Trapezitsa où se trouvent le musée national des Beaux-Arts ainsi que l'imposant monument aux Asen (commémorant la fondation du second empire). L'endroit est idéal pour prendre conscience de l'emplacement exceptionnel dont bénéficie la cité, "au coeur d'un amphithéâtre de collines boisées que traverse la Yantra" (Lonely Planet, page 172). Nous restons un moment dans cet endroit niché dans le coude du fleuve puis traversons le pont quelque peu vertigineux qui nous mène au centre-ville. 

Un passage par l'office de tourisme pour nous rencarder sur le programme des festivités. Comme nous l'a annoncé le taxi, un spectacle son et lumières aura lieu le soir même à 21 heures. Mais avant cela, il est temps de faire une pause rafraîchissement (entendre bière). Pause à la terrasse d'un café surplombant le fleuve, le temps d'avaler une salade chopska et plusieurs gorgées de Zagorka, la blonde préférée des bulgares, qui se laisse décapsuler facilement (vraiment).


 Illustration: Petites pintes entre amies
Source: Photographie personnelle


Même si nous sommes tentées de rester tranquillement installées dans cette brasserie vu que le cadre et la carte (le choix et surtout les tarifs pratiqués) ne nous dissuadent pas de la quitter, il ne faut pas oublier le but de notre venue ici : festoyer avec l'autochtone ! Non, plus sérieusement, il serait dommage de rater le défilé de danses traditionnelles. Nous rejoignons l'avenue principale où sont déjà rassemblés des centaines de personnes, danseurs costumés (dont un, coiffé d'un couvre-chef très original, et semblable à mes yeux à un coton tige) ou simples spectateurs. Nous ne sommes certes pas bulgares, mais notre coeur est à la fête. Nous suivons jusqu'au parvis de la forteresse la joyeuse troupe, qui avance au son des musiques traditionnelles (s'échappant de simples hauts-parleurs) qui flottent dans les airs tout comme les fanions tricolores qui décorent les rues.


 

 


Illustrations: Enfants en costumes traditionnels défilant dans les rues de VT
Sources: Photographies personnelles


Le temps d'une autre bière et le spectacle commence. Avant de contempler les illuminations, nous avons repéré parmi les spectateurs une toute autre merveille. Un charmant jeune homme aux yeux clairs... accompagné d'une fausse blonde trop maquillée aux cheveux gaufrés. Je vous laisse imaginer l'ampleur de notre déception. La foule s'est réunie en masse, il nous est donc difficile d'apercevoir l'estrade où se tiennent certainement les officiels, à en juger par leur tenue vestimentaire, mais surtout par la gravité de leur ton. Nous écoutons le discours de ces représentants de l'autorité dans lequel nous ne parvenons à discerner que les noms propres et l'émotion des voix tremblantes. Il s'agit sans doute là d'un hommage aux héros de l'indépendance bulgare puisqu'après cette longue litanie, l'hymne national est joué. La foule s'agenouille, certains chantent, nous faisons de même et nous laissons emportées dans cet élan de patriotisme, par les voix et accords conquérants qui réussissent à me faire monter les larmes aux yeux. L'espace d'un instant il me semble que je fais corps avec ce peuple, que je partage ses valeurs, et que ce pays d'adoption a toujours été le mien. Le mot indépendance prend toute sa signification ce soir, dans un pays qui a été maintes fois envahi, colonisé, dominé, satellisé... et qui a payé cher le prix de sa liberté. Plusieurs coups de feu se font entendre, tirés par des officiers de l'armée en uniforme et la détonation me contraint à reprendre mes esprits. Le jour décroit  et les vieilles pierres de la forteresse se parent peu à peu de leur tenue de soirée. Un important dispositif technique (630 mètres de câbles, 2500 projecteurs, 140 ampoules clignotantes et 6 rayons laser, selon la brochure) offre aux habitants et visiteurs un spectacle grandiose et gratuit. Tantôt jaunes et accompagnées de mélodies festives, tantôt rouges et laissant entendre une volée de cloches funestes, les remparts évoquent tour à tour l'âge d'or et les invasions barbares. C'est une véritable fresque historique, retraçant les évènements marquants de la construction de la nation bulgare, qui se dessine sous les yeux écarquillés et humides du public. 


Illustrations:
Jeunes spectateurs
Sources: Photographies personnelles



Un feu d'artifice vient ajouter une dernière touche de couleurs à ce tableau musical. Extinction de voix. Extinction des feux. La grande majorité de l'audience rentre au bercail, et nous restons dans le secteur avec une petite poignée de noctambules. Quand on nous demande de payer pour utiliser les toilettes, alors que nous sommes clientes du bar, nous changeons d'établissement. Françaises oui, mais pas pigeons ! L'estomac de mes compagnons d'aventure commence à gargouiller sérieusement. Nous nous attablons donc dans un restaurant modeste, à la décoration champêtre, le temps d'une pizza... mémorable. Je ne sais pas ce qui est le plus dégoûtant entre la pâte caoutchouteuse, la garniture aux petits pois et le ketchup trop liquide et brunâtre en guise d'assaisonnement. Après quelques bouchées et de grands éclats de rire, nous redescendons dans le centre-ville, histoire d'en boire une dernière pour la route. Puis, loin d'être rassasiée, une de mes compatriotes se précipite vers le stand d'un vendeur ambulant en pensant y trouver des frites... mais elle se voit proposer du maïs. Se sentant d'humeur joviale et aventurière, elle se laisse tenter par ce mets inhabituel et va jusqu'à demander au vendeur de le lui servir avec son assaisonnement préféré, à savoir du beurre fondu, des épices, du sel et du poivre (et peut-être même un soupçon de mayonnaise ou une touche de ketchup). C'est donc en rigolant que nous rentrons à la maison, et les rires nous accompagnent jusqu'au moment du coucher car il nous faut frapper d'un coup sec la chasse d'eau capricieuse ou encore partager un lit à trois et décider laquelle d'entre nous dormira au milieu, position la plus inconfortable puisque située sur le raccord des deux matelas jumeaux.  C'est finalement, je cite, "bamboula" qui joue de malchance. Notre première journée riche en émotions s'achève et laisse place à un sommeil réparateur.


Dimanche. En début de journée, nous nous contentons de flâner dans les jolies petites rues de la ville, notamment celles du quartier Varosha, la veille ville paisible avec ses animaux paresseux et ses maisons de style renaissance aux jolies façades qu'habille souvent un charmant petit balcon de bois. Les arcades abritent des échoppes d'artisanat local, des boutiques de souvenirs ou encore des galeries d'art. Nos déambulations et notre appétit nous conduisent dans un restaurant de cuisine traditionnelle profitant d'une vue époustouflante sur le fleuve. Notre déjeuner se déroule sans encombre mais nos conversations jusque là limitées à des récits de vie et de voyage se transforment en un véritable débat causé par la venue inopinée à notre tablée d'un étrange animal. L'une affirme que c'est un colibri, les autres perplexes avancent qu'il s'agit là d'un papillon. La serveuse est prise à partie et devant une photographie de la créature, formule un "colibri". Mais le doute reste entier. Des recherches a posteriori montreront que toutes avaient raison puisque la bestiole répond au doux nom de "Sphinx colibri". 




Illustration: Le Moro Sphinx, animal de la discorde
Source: Photographie personnelle


C'est le ventre plein que nous nous mettons en route pour Tsarevets, bien décidées à visiter la forteresse. Pour cela nous nous acquittons de la somme de 6 lv. Ticket et appareil photo en main, nous pénétrons dans la citadelle en marchant sur une muraille (qui a un petit air de Chine) où un panneau précise, d'après l'interprétation qu'en donne mon amie, qu'il est interdit de danser sur le muret. Nous passons sous plusieurs voûtes où se logeaient, en des temps reculés et béliqueux, des herses. Ces dispositifs de défense annoncent que nous pénétrons dans un édifice fortifié à accès réglementé. A l'intérieur, des marionnettistes nous accueillent avec des phrases toutes faites, nous invitant à prendre la pose en costume d'époque contre quelques pièces de monnaie. Nous passons notre route et empruntons des escaliers, ou plutôt nous suivons le sentier dessiné par les touristes et les années sur les pierres couchées, pour arriver à la Cathédrale Patriarcale qui abritent des peintures murales modernes semblables à des collages mais interdiction de photographier l'intérieur du bâtiment. Heureusement il y a toujours les cartes postales en guise de souvenir pictural. 


Illustrations:
ci-contre à gauche,
 la Cathédrale Patriarcale
à droite, vue de la ville depuis Tsarevets
Sources: Photographies personnelles

Illustration: La forteresse de Tsarevets et la Yantra
Source: Photographie personnelle


De ce point de vue, nous réalisons combien le site est immense. L'ensemble est classé  patrimoine national architectural et les fouilles se poursuivent pour mettre à jour des ruines. Nous accélérons le pas, car l'heure tourne et il nous faut rentrer à Sofia. Nous jetons donc un coup d'oeil rapide aux multiples vestiges de monastères ou de maisons et nous dirigeons vers un lieu-dit dont le nom a su éveiller notre curiosité: le rocher des exécutions. C'est de ce gros caillou qu'étaient jetés les traîtres dans la Yantra. Après avoir joué les suicidaires pour tenter de s'imprégner de l'ambiance du lieu, notre partenaire rejoint la terre ferme et nous quittons la colline. Nous sautons à nouveau dans un taxi, puis dans un bus pour la capitale. Nous profitons du trajet pour visionner nos photos, échanger nos réactions et nos impressions à chaud mais nous nous laissons rapidement tomber dans les bras de Morphée. 

Cette première sortie était réussie. Si ce coin de Bulgarie vous a plu et que vous souhaitez davantage d'info sur Veliko Tarnovo, je vous invite à aller faire un tour sur le site internet de la ville (version anglaise : http://veliko-tarnovo.net/?cat=54.)
Quant à moi je remercie mes deux charmantes amies, qui se reconnaîtront,  pour leur agréable compagnie et j'ai hâte de découvrir, avec ou sans elles, toutes les autres richesses de la Bulgarie.

3 commentaires:

  1. Ça m'a l'air d'être un très joli coin. Dommage que tu n'ais pas pu faire d'avantage de photos de la forteresse.
    Qu'est-ce qu'une salade chopska ? Sans doute meilleure que la pizza indigne du nom en tout cas.
    Les costumes traditionnels sont très beaux, tout comme l'hymne bulgare.
    En Espagne aussi les taxis sont dangereux si ça peut te rassurer.

    RépondreSupprimer
  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  3. J'ai pris beaucoup de photos, je ne peux pas toutes les publier mais je les partage avec toi volontiers.
    La chopska est la salade traditionnelle: salade verte, poivron, concombre, tomates, oignon, et fromage. (Semblable à une salade grecque).

    RépondreSupprimer