dimanche 4 novembre 2012

B comme Balade

...N'importe qui et ce fut toi
Et je t'ai dit n'importe quoi...


Depuis quelques semaines, je renoue avec le rituel de mon enfance. Souvent le dimanche, après le repas de famille (je déjeune désormais dans ma patrie d'adoption avec ma famille bulgare de coeur) et si la météo le permet, j'aime me promener seule ou accompagnée, dans le quartier ou de préférence dans le coin de verdure situé à proximité . Cette promenade dominicale n'ayant d'autres buts thérapeutiques que celui de faire le vide, de s'oxygéner et éventuellement de digérer et de brûler quelques calories si le déjeuner était copieux. J'aime m'asseoir sur un carré d'herbe ou un banc public et observer les gens: les passants qui sont au téléphone ou bien ceux au bout d'une laisse; les enfants qui hurlent, courent, sautent, grimpent, tombent, pleurent, se relèvent et rigolent;  les mendiants et leur flûte à bec ou simple cigarette au bec. J'adopte souvent le regard du photographe ou celui de l'ethnologue et je tâche de définir au mieux qui sont ces autres qui affectionnent comme moi cette sortie familiale, en amoureux ou en solitaire, sans destination aucune et sans autre fin qu'elle même. Aujourd'hui au parc, je ne griffonnais ni dans un carnet ni au dos d'une carte postale mais je laissais de côté mes vieilles habitudes pour adopter les us et coutumes de la génération Y. J'étais donc à la mode, écouteurs sur les tympans et pouce en hyperactivité sur le clavier tactile de mon smartphone. Je ne lisais pas mon fil d'actualité sur Facebook mais l'actualité tout court, en écoutant une symphonie du nouveau monde et pourtant d'une époque révolue. Mais d'un point de vue extérieur, je me fondais dans le décor, pareille à une jeune femme tendance (ou plutôt à une adolescente vu mon physique) bien dans son temps.



Illustration: Un dimanche au parc, Borisova gradina, Sofia
Source: Photographie personnelle


Je vaquais paisiblement à mes calmes mais captivantes occupations et n'étais donc pas ouverte à la discussion, mais c'est pourtant ce moment inopportun qu'a choisi un passant pour engager le dialogue, m'obligeant à retirer les fils qui pendaient à mes oreilles. M'offrant son plus beau sourire, loin d'être éclatant, je laisse l'homme me débiter son discours avant de lui lancer mon habituel "не разбирам" ("Je ne comprends pas") échantillon lui indiquant que je suis étrangère mais ne lui permettant pas pour autant d'identifier à la première écoute ma langue maternelle. Ce monsieur aux cheveux poivre et sel se concentre longuement en fronçant les sourcils avant de bégayer son meilleur anglais. A l'écoute de son débit de parole très lent et entrecoupé de bruits de bouche et à la vue de ses mimiques faciales très expressives, une métaphore me vient à l'esprit. J'imagine les mots en langue étrangère tels des livres abandonnés depuis des années sur la dernière étagère d'une bibliothèque. Il faut d'abord se rappeler où on les a rangé, puis fournir un effort pour les attraper. Ils ne se laissent pas saisir facilement et sont sens dessus dessous formant des piles à l'équilibre incertain. Le désordre alphabétique règne. Ouvrages en langue française, littérature américaine, auteurs hispanophones, grammaire allemande,... l'oeil et le cerveau doivent décrypter l'inscription sur la tranche et sélectionner les bouquins ou chapitres dont on a besoin, dans le bon ordre. Un geste de la main viendra ensuite ôter peu à peu la poussière qui recouvre la couverture, laissant apparaître syllabes par syllabes, le titre. Et parfois, cette redécouverte de trésors oubliés donne envie de poursuivre la lecture et de se plonger tête la première dans le roman ou tout au moins dans la table des matières ou le prologue.



Illustration: Monument de l'Armée soviétique,
QG des rollers skateurs

Source: Photographie personnelle
Il me questionne donc, non sans effort vous l'aurez compris, sur mes origines et les raisons de ma présence à Sofia avant de sortir de ses poches une poignée de boulons et d'écrous et de m'expliquer qu'il sort à l'instant de la quincaillerie. Puis il me confie pendant de longues minutes qu'il préfère réparer et recycler les choses plutôt que d'en acheter de nouvelles mais qu'il n'arrive pas à faire entendre raison à ses enfants qui sont de véritables panier percés captivés et captifs de cette universelle, mais quelque peu nouvelle pour la Bulgarie, société de consommation. Je fais l'erreur de me montrer intéressée par son récit et par ce déballage d'outillage et ce dernier me propose alors  à plusieurs reprises de l'accompagner chez lui où il pourrait m'apprendre à bricoler. Je décline poliment l'invitation prétextant avec conviction qu'il est déjà l'heure de rentrer à la maison. Je le congédie et me dirige d'un pas assuré vers l'arrêt de bus mais quelques instants plus tard, entendant ses apostrophes à plusieurs reprises, je me retourne et constate que l'homme me suit en faisant de grands mouvements de bras pour m'interpeller. Je marque une pause lui permettant de me rejoindre. Et je me vois offrir un nouveau sourire, assorti d'un ticket de bus. J'insiste pour donner quelques pièces de monnaie en l'échange du petit bout de papier jaune, argent qu'il refuse sous prétexte que c'est un honneur pour lui d'inviter une femme française. Je le remercie donc à la française à grands coups de "merci beaucoup" et il me murmure une phrase en bulgare au creux de l'oreille avant de s'éloigner tandis que je monte (ou plutôt, que je me hisse) à bord du vieil autobus. Le mystère de cette dernière réplique reste entier, bien que sa signification globale puisse aisément se deviner.

A la descente de l'automobile, je suis toujours déconnectée du monde réel mais connectée au monde virtuel qui tient tout entier dans ma poche. Le jour décroit, il commence à faire froid et pressée de retrouver la douceur de mon foyer, j'emprunte un itinéraire familier tête baissée faisant claquer mes petits talons carrés sur le pavé. Un obstacle vient perturber cette marche quasi militaire. Un jeune homme me barre le passage de tout son corps et ses mouvements de lèvres m'indiquent qu'il tente d'entrer en communication avec moi. Un poil exaspérée, je retire mes oreillettes avant de lui lancer ma célèbre réplique, phrase qui au lieu de le faire taire et de le chasser ne fait au contraire qu'attiser l'intérêt qu'il me porte. Il me saisit par le bras, observe rapidement mes mains avant d'annoncer fièrement, en anglais, le résultat de son analyse. Non, il ne s'agit pas là d'un tzigane diseur de bonne aventure, bien que l'on puisse dans ce pays croiser des chiromanciennes dans les rues, celui-là ne s'intéresse pas aux lignes de ma paume de main mais plutôt à mes phalanges osseuses. Sa déduction logique est la suivante: je ne porte pas de bague, je suis donc célibataire et bonne à marier. Je tente de me libérer mais il ajoute qu'un anneau sublimerait ma main et me demande à quel doigt je souhaiterais le porter. En guise de réponse, je lui offre mon majeur. Mais ce doigt levé ne suffit pas à le repousser, voilà qu'il s'en trouve amusé. Un vent de panique s'empare de mon être car il se rapproche dangereusement de moi et a le regard du serpent qui tente d’hypnotiser sa proie  en sifflant tout en s'enroulant perfidement autour d'elle. Mais le charme n’opère pas sur moi. Il me réclame un baiser que je lui refuse, puis une simple bise me soutenant que j'en  meure d'envie mais je m'en défends. Cet homme me semble vraiment dérangé; mon air tantôt blasé, tantôt inquiet ne me sont d'aucune utilité et mes ruses successives pour lui échapper ont toutes échouées. Je me vois contrainte de le menacer d'hurler et d'appeler à l'aide. Il accepte alors de me laisser partir à une condition: il me donne une date, un lieu et une heure de rendez-vous et me somme d'une voix solennelle de m'y trouver comme si ma vie (et la sienne) en dépendait. Je cède au chantage et jure en le regardant droit dans les yeux comme il me le demande. Je trépigne comme dans les starting-blocks puis il se résout enfin à me lâcher et son "bon voyage" en guise d'adieux (sans doute la seule expression qu'il connaisse en français) retentit dans les airs comme un coup de revolver annonçant le départ et ma liberté retrouvée. Je cours à toute allure, massant mon maigre poignet meurtri par l'étreinte forcée, mes jambes échappant à mon contrôle, comme pour battre un record de vitesse ou plutôt pour échapper à un tueur fou. Je ne ralentis mon rythme de cavale qu'une fois arrivée dans un endroit fréquenté. Je viens grossir  la foule des passants qui se bousculent sur les trottoirs avant de m'engouffrer dans un trolley bondé. Ce n'est qu'une fois la porte de mon appartement fermée à clé derrière moi que je suis rassurée, essoufflée mais soulagée d'avoir échappé à ce psychopathe. J'ai réellement flippé, ce garçon était "creepy" mais ne dispose d'aucun indice pour me retrouver (il sait seulement que je parle anglais avec un fort accent français) et bien entendu, je ne compte pas honorer la promesse que je lui ai faite, même si je dois avouer qu'il est tentant d'aller espionner, bien planquée et buvant du café comme les policiers dans les séries télé, pour voir s'il se trouvera comme convenu au point de rendez-vous le jour J. 


A la suite de ces deux rencontres étranges et troublantes, je décide que j'ai suffisamment été éprouvée en une seule demi-journée et ayant eu une overdose d'émotions fortes, je vais directement me coucher en adoptant une résolution: en balade, pour éviter d'écouter les salades d'un beau-parleur, se contenter d'écouter son baladeur. Je vais donc, avant de me retrouver pour de bon dans une situation dangereuse, cesser d'accorder de l'importance aux quidams qui m'abordent, rester muette et froide, tracer ma route et me contenter de les ignorer... sauf bien sûr s'il s'agit d'un prince charmant de conte de fées et non d'un désaxé comme j'en croise souvent malheureusement. 

6 commentaires:

  1. OMG the creepiest guy in the world sent me a email:

    "Hey,

    It's me Bobi your mysterious seducer from Sunday evening!
    My number ( 0888 xxx xxx) ; give me a miscall or send your number via an email.

    P.S. don't ask me how I got your e-mail (it's a secret:)"

    I'm totally freaking out !

    Je ne sais pas comment il a fait pour trouver mon adresse électronique (et par conséquence mon nom!). Il sait désormais qui je suis, et peut-être même où je travaille et où j'habite ! Comment peut-il avoir fait le rapprochement entre la jeune française expatriée qu'il a croisée dimanche et moi... Je ne lui ai même pas donné mon prénom, ni mon surnom, aucune info ! Je suis inquiète à l'idée que des informations personnelles telles que mes coordonnées traînent sur internet. J'ai beau prendre un pseudonyme sur la toile, il a découvert ma vraie identité. Je ne vais bien entendu par répondre à son message, lui laissant je l'espère penser que l'adresse du destinataire est erronée. Mais ce qui est sûre c'est que je ne suis pas rassurée !

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  2. coucou, ma belle!!! j'hallucine en lisant tes mésaventures en Bulgarie!!!c'est vraiment une histoire qui fait dresser les cheveux sur la tête! je pense que ton 'admirateur' doit être un ami d'un de tes élèves...sinon je ne comprends pas non plus comment il a réussi a avoir tes coordonnées...en tout cas reste prudente! je pense a toi! gros bisous!
    p.s. j'adore ta manière d'écrire!!!

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  3. Благодаря Таня ! Je ne pense pas que ce mec me retrouve, ne t'inquiète pas. Je reste sur mes gardes.
    Merci de me lire, ce blog est un peu en bazar mais me ressemble.
    целувки !

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