mercredi 21 novembre 2012

B comme Bougies 2

Au clair de la lune, je prends ma plume pour écrire ces mots


Même les bulgares connaissent le sens de l'expression "Déjà vu". Je broie du noir ce soir encore. Je suis à nouveau passée du côté obscur. Mes ampoules sont mortes, mes chandelles brûlent. Il est 18h30 et je griffonne ces lignes dans un carnet; lignes que je publierai sans doute une fois la panne de courant terminée. Pour l'heure, je n'ai pour seul éclairage que trois bougeoirs colorés dont les flammes projettent une lumière verte sur le papier. C'est glauque.

Je me sens une fois de plus prise en otage. Je ne peux pas cuisiner. De toute façon je ne peux rien avaler. Trop énervée. Ma machine à laver s'est arrêtée avant que le programme synthétique ne soit terminé. J'ai beau la débrancher, le blocage du hublot est automatique. Mon linge mouillé est condamné à attendre le retour de l'électricité. Ma ligne de téléphone fixe est coupée. Je n'ai pas de connexion internet mais elle ne m'aurait été d'aucune utilité vu que la batterie de mon ordinateur portable est déchargée; tout comme celle de mon téléphone portable d'ailleurs. C'est très embêtant car ce dernier me tient lieu de lampe de poche, mais surtout de réveil. J'ai tellement peur de ne pas me lever demain matin aux aurores pour aller bosser que je pense que je ferai mieux d'aller me coucher une fois ces lignes rédigées, histoire d'être reposée et de me réveiller par moi-même avant le lever du soleil lui-même. 

J'ai ravivé la flamme que j'avais soufflé la veille à peine. Il ne faudrait pas que ces veillées à la bougie deviennent une habitude. La faible lumière des mèches enflammées ne suffit pas à éclairer la pièce en entier, mes déplacements sont donc lents et prudents. La cire fond et je me morfonds. Je me demande comment nos ancêtres faisaient avant l'apparition de la fée électricité. Ils étaient mieux équipés que je ne le suis. Dans mon bloc, il n'y a pas le gaz, à aucun étage. Et surtout, je n'ai aucun passe temps si ce n'est noircir des feuilles de papier blanc. Cette atmosphère est propice à la méditation. Je préfère me laisser gagner par des réflexions métaphysiques plutôt que par la déprime qui pointe le bout de son nez depuis quelques jours déjà. Je me faisais une joie de manger, car depuis qu'une nouvelle semaine de folie a commencé, je n'ai fait que grignoter, n'avalant sur le pouce que quelques encas légers. J'étais également impatiente à l'idée de parler à ma femme chérie, à mon amie. J'étais en train de saisir les notes de mes élèves quand le boitier internet s'est soudainement coupé. J'ai peur d'avoir perdu toutes les données non enregistrées. Je suis vraiment agacée, excédée, fatiguée. Demain c'est jeudi, comme la cire, la semaine fond elle aussi.

Depuis que le chauffage est enfin allumé, j'ai des soucis d'électricité. Comme si les deux énergies n'étaient pas compatibles. Chaleur ou lumière, il faut choisir. Je n'ai, moi non plus, plus d'énergie. Le froid s'est installé. Les idées noires aussi. Une nouvelle nuit de solitude. L'estomac dans les talons et le moral dans les chaussettes. Les chaussettes séquestrées dans le tambour du lave-linge, pour une durée indéterminée. Je suis également inquiète pour les quelques aliments peuplant l'intérieur de mon réfrigérateur. Combien d'heures encore avant qu'ils ne soient avariés et bons à jeter? Peut-être devrais-je dès à présent les consommer pour éviter de gaspiller? Et la mèche de la bougie, quand sera t-elle entièrement consumée?

Sans télévision, sans téléphone ni internet, les anciens avaient d'autres occupations. Mais je n'ai personne à qui proposer une partie de belote. Je n'ai personne à qui jouer de l'harmonica au coin du feu. Si seulement j'avais une cheminée. Je n'ai personne à qui parler à part ce cahier d'écolier. Et puis d'ailleurs, qui autour de moi comprendrait le français? Je me sens complètement isolée. Impossible de communiquer.

Je soupire. Pas trop froid car je ne voudrais pas souffler les bougies. Il me faudrait, à tâtons, remettre la main sur la boite d'allumettes; puis les gratter une à une jusqu'à la dernière. Comme la petite héroïne de mon conte préféré. A ce moment précis pourtant, j'aimerais en souffler des bougies. Nous serions réunis, en famille ou entre amis autour d'un gâteau dont ma grand-mère a le secret. Mes journées sont courtes en terme de luminosité, mais sans éclairage elles me semblent interminables. J'attends que la lumière revienne, celle du lustre ou celle de l'astre. J'attends la Fée ou Morphée.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire